Généreusement empathique
Dans « Mémoires d’une geisha », elle ruisselait de sensualité, dans « Tigre et dragon », elle volait, aujourd’hui, elle tourne dans les bras de Hugh Grant… Et, en tête-à-tête, si elle dévoile son incroyable beauté, elle cache précieusement ses sentiments. Rencontre avec une actrice aussi mystérieuse que fascinante. Photos Benoît Peverelli.
Par Sophie Fontanel
Le 23 juin 2008
Généreusement empathique
Zhang Ziyi était au Festival de Cannes quand la terre a tremblé au Sichuan. Alors, elle porte le deuil et refuse de monter les marches. Et elle organise une soirée pour récolter des fonds destinés à la Croix-Rouge chinoise. Elle qui se refuse à toute déclaration sur son pays, surtout en France qu’elle suppose un pays hostile, prend la parole : « Je n’arrête pas de penser à ces pauvres gens, là-bas dans mon pays. Du fond du cœur, je ressens ce qu’ils perdent. Je veux faire tout ce que je peux pour les aider. Je veillerai à ce que chaque sou récolté soit dépensé pour les survivants de ce tremblement de terre. » Dans la bouche de Zhang Ziyi, ces propos sont exceptionnels.
Aucun regard sur le passé
Aucun regard sur le passé
L’actrice n’exprime jamais de sentiments. Il a fallu un drame de cette envergure pour lui faire quitter sa réserve. Elle qui ne veut parler que de cinéma. Un mois auparavant, je l’avais rencontrée à Paris. Tous mes amis hommes voulaient venir avec moi, car Zhang Ziyi est l’inoubliable interprète de « Mémoires d’une geisha ». Devant moi, j’ai surtout découvert une frêle gamine accompagnée par sa mère. Pourtant, à 28 ans, elle est la plus grande star du plus grand pays du monde. Elle est neuve et décidée. D’ailleurs, « Je ne suis qu’avenir », dit-elle, peu enthousiaste à l’idée de revenir sur sa carrière ou sur l’histoire de la Chine. Aucun regard sur le passé, c’est son mot d’ordre. Je me rends compte que Gong Li est déjà du passé à ses yeux. Bref, elle est un parfait exemple de ce que la Chine nous prépare. Elle vient de terminer un film avec Dennis Quaid. Enchaîne sur un tournage avec Hugh Grant. Impressionnée par nos stars ? « Non. » Mais alors, qu’est-ce qui la bluffe dans le monde occidental ? « Le goût de vos McDonald’s. »
Mystérieusement amusée
Mystérieusement amusée
J’insiste : « Tout de même, le charme de George Clooney opère-t-il aussi sur les Chinoises ? » Elle se penche vers moi et me murmure : « Moi, oui, il me plaît, mais je ne suis pas certaine que ça plairait à ma mère si… » Coup de menton vers la mère. Zhang rit trop pour continuer à parler. J’ai visiblement soulevé un sujet comique. Même si elle rit beaucoup, nous la trouvons tous bien mystérieuse, ce jour-là, dans la suite du Bristol. Elle ne se déplace qu’en groupe. Dix Chinois sont assis sur le lit king-size. Parmi eux, son manager, sa mère, sa traductrice. Et puis après, les autres, qui vont et viennent sans rien de précis à faire. En tout cas, ils donnent au shooting un côté surréaliste. J’interviewe Zhang Ziyi pendant qu’on la maquille. Son visage enfantin devient presque indécent de beauté. L’actrice parle anglais mais préfère utiliser le chinois. Elle pouffe de rire à toutes mes questions. Elle rit, et puis après elle répond. Elle m’explique la place du cinéma en Chine. Le luxe que ça a été pendant si longtemps.
« Mickey Mouse »
« Mickey Mouse »
« C’était le seul moyen de rêver. Chez nous, on ne montre pas ses émotions. Et aujourd’hui encore, seul le cinéma exprime ce qui ne se dit pas, et moi j’ai… » Là, elle s’arrête pour dire au maquilleur qu’il ne faut pas trop lui dessiner les sourcils : « Sinon, je ressemble à Mickey Mouse. » Je lui demande comment ses parents ont réagi quand elle a déclaré qu’elle voulait faire du cinéma. Sa réponse : « Ah ! Ils n’ont pas réagi. » J’apprends que ce n’est pas du tout dans la culture chinoise de réagir. Sont-ils fiers qu’elle soit une star ? « J’imagine. » Difficile de concevoir pour les Français à quel point Zhang Ziyi est célèbre. La Chine est loin et, là-bas, la presse à scandale, qui pourrait nous informer sur elle, n’existe pas. Les Chinois ont un respect immodéré pour la vie privée, encore plus puissant que leur goût du contrôle. Selon Zhang, ça leur vient d’une pudeur telle que, quand je lui demande si elle est choquée par la manie des Occidentaux d’exhiber leur sexualité, elle se cache le visage avec une serviette-éponge, comme si elle tirait un rideau. Ce geste nous laisse médusés.
Comme un objet attirant
Comme un objet attirant
Je prends mon courage à deux mains et enchaîne sur le fantasme sexuel qu’elle représente depuis « Mémoires d’une geisha ». Réponse : « Si on se souvient de moi comme d’un objet attirant, ça veut dire que j’ai bien joué mon rôle. Vous savez, dans “ Tigre et dragon”, qui m’a fait connaître en Chine, mon personnage volait. Ça ne veut pas dire pour autant que je vole dans la vraie vie ! Alors pourquoi serait-ce différent avec les choses sexuelles ? » Et toc ! J’essaie de lui parler de la politique chinoise. Sa méfiance est immédiate. Pour Zhang Ziyi, comme sans doute pour des centaines de millions de Chinois, les « manques » de la Chine ne sont rien comparés à l’enthousiasme qui anime le pays. « On est dans un élan, on est dans une envie. Est-ce votre cas, à vous ? Chez nous, tout change et tout changera, et ça me semble beaucoup plus intéressant de regarder ce qu’on obtient plutôt que de regarder ce qui nous retient encore. »
Vuitton
Vuitton
Elle est déterminée comme un petit bélier. « Rien n’arrêtera l’épanouissement de la nouvelle génération. » Elle a réglé la question des J.O. et des droits de l’homme en étant le porte-parole des Special Olympics, les jeux Olympiques pour handicapés. S’abritant derrière sa cause, elle n’en dira pas davantage. Et nous, alors ? Comment nous trouve-t-elle ? « La société française, de même que la société américaine, je n’y comprends rien. » Je lui demande de décrire ce qu’elle voit de nous. « J’ai une image de la France à travers Vuitton, en fait. » Comme beaucoup de ses compatriotes, elle est fascinée par cette griffe (vingt-cinq boutiques dans le pays). Alors que les grandes marques ont ouvert leur boutique il y a à peine sept ans, Vuitton avait parié sur la Chine il y a seize ans déjà. Et le seul défilé auquel elle a assisté pendant la Fashion Week parisienne était le défilé Vuitton.
Destins tragiques
Destins tragiques
Quand je lui demande ce qu’elle admire d’autre chez nous, ça ne lui prend pas trop de temps de me dire : « Lady Di ! Je sais qu’elle n’est pas française, mais elle est morte en France, vous le saviez ? » Oui, je le savais. Et pourquoi l’admire-t-elle tant ? « Parce qu’elle est tragique. Il y a quelque chose de grand chez elle, ça me plaît. » J’essaie de la lancer sur d’autres destins tragiques comme celui de Marilyn Monroe, mais elle me balaie ça d’un geste de la main. Elle m’explique : « Marilyn Monroe est trop sexy, trop évidente. C’est trop facile. » Maintenant, elle est maquillée. Sa beauté fait qu’on se tait tous. Mon interview est terminée. Un des Chinois s’approche de moi. Je lui dis, en anglais : « Ça s’est bien passé, non ? » Alors, il m’explique que, en Chine, le nom de famille vient avant le prénom. J’ai appelé l’actrice « Zhang », alors qu’il fallait l’appeler « Ziyi ». La bourde. Pourquoi elle ne me l’a pas dit ? « La politesse, je suppose », me répond-on. Le mystère de cette fille est loin d’être élucidé.